Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/607

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
603
UN SPECTACLE DANS UN FAUTEUIL.

Voici pourtant que les miracles du peuple ont si vite mûri le siècle, qu’il ne peut désormais plus s’arrêter à admirer uniquement les curiosités extérieures de la création, ni les stalactites brillantes, ni les masses des sombres forêts, ni les mille échos des vents, des eaux et des tempêtes ; il demande les tableaux mobiles de l’humanité, les luttes et les enseignemens de la vie, les regrets, les douleurs et les espérances ; il veut du roman et du drame ; il cherche le sens de la réalité ; il s’informe auprès des poètes, ces chastes rêveurs, quelle issue ils ont aperçue à nos souffrances et à nos joies, et si les anges qui les visitent ne leur ont pas parlé de ce qui sera demain. Le siècle s’inquiète de l’avenir, et des modifications que l’homme subira encore pour s’approcher de l’infini, et des formes où le présent se purifiera pour atteindre Dieu.

L’invention est donc bien véritablement aujourd’hui la nécessité urgente de toute poésie. Ce n’est plus assez de ces vagues tristesses harmonieuses que les ruines tombées inspiraient à de solitaires amans du passé. Le sentiment actuel ne peut non plus se servir à lui-même d’enveloppe et de prétexte unique. Non-seulement nous appelons tous le parfum et la mélodie de la réalité ; mais nous en désirons voir l’imitation, les sentiers âpres et prolongés, les angles coupés au flanc des côteaux. Nous ne nous contenterions plus de deviner les hommes aux empreintes que leurs pieds laissent sur le chemin ; nous les voulons voir drapés et parlant ensemble. La prophétie même étouffe dans la strophe ; elle veut se noyer au milieu de la multitude pour en sortir plus forte et plus tonnante. Le genre lyrique me semble insuffisant : Béranger, Lamartine et Victor Hugo lui doivent leur renommée, parce qu’ils l’ont trempé dans des genres plus vivans, et fécondé par les merveilles de l’Invention, cette fée particulière de l’art moderne.

L’Invention, ce n’est pas une combinaison d’images ou d’événemens ; c’est plus que cela : c’est le désir d’un idéal ; c’est le pressentiment d’un but. L’Invention s’exerce au-dessus de la réalité ; elle est distincte de l’Imagination qui lui prête les couleurs cueillies sur la robe de l’univers. L’Invention est une faculté innée et spéculative, qui trouve en elle-même sa vie et sa direction. L’Imagination n’est qu’une servante qui la pare de joyaux empruntés au monde extérieur. Mais l’Invention, c’est une puissance altière et indépendante, qui se perd dans les plus hautes régions de l’humanité, et les plus voisines du ciel ; c’est une aspiration incessante qui détache l’esprit du passé, qui le pousse en des voies actives et sublimes, qui imite et surpasse dans l’ordre intellectuel le mouvement imprimé à la création vers l’avenir. L’Invention dérobe à l’infini les lois de l’univers pour en accélérer sur un point l’énergie et les résultats. L’In-