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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/212

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REVUE DES DEUX MONDES.

Tita, sa mère, était belle ; elle servait de modèle aux sculpteurs et aux peintres. On voyait, au-dessus du portail de Saint-Pierre d’Arezzo, une tête de vierge copiée sur son modèle ; l’Arétin, devenu puissant et riche, pria George Vasari[1] de dessiner cette vierge, portrait de sa mère, et de lui en faire parvenir le dessin.


Ainsi, l’enfant Pietro, fils du gentilhomme Bacci[2] et d’une courtisane, naît à l’hôpital. Nous le verrons mourir dans un palais.


Au berceau de Pierre Arétin, une terrible figure règne sur l’Italie, Alexandre Borgia. Non loin de son lit de mort vous apercevez Machiavel.

Il suffit de ces deux noms pour expliquer son immoralité complète, pour éclairer l’ame de cet homme hardi qui exploita tous les vices de son temps. Une civilisation admirable pour les arts et le génie avait été stérile pour la vertu. Vingt républiques opulentes, énergiques, ardentes, hostiles, s’étaient dévorées comme les soldats de Cadmus. On avait vu tous les citoyens approcher tour à tour du pouvoir et n’y mettre la main que pour se corrompre, s’ensanglanter, se flétrir, pour essayer le crime, seul moyen de pouvoir. Un beau climat, une religion pompeuse, des rites merveilleux, une vie facile, le dédain des vertus guerrières, l’absence de nationalité ou le conflit mesquin de mille nationalités étroites, la scission de l’Italie en intérêts divergens, avaient effacé les grandes idées de vertu sévère, de patriotisme et de dévouement. Infamies privées, lâchetés publiques, vénalité générale, mollesse des mœurs, influence de la ruse, puissance adorée du poison et du poignard ; voilà ce que Machiavel nous montre dans ce code si profondément pensé, témoin d’une époque si complètement perdue : le Prince, livre de désespoir. Il n’y a plus rien à attendre de l’Italie : c’est une arène peuplée d’assassins, d’empoisonneurs et de lâches. Les étrangers, bardés de fer, s’y précipitent par tor-

  1. T. 1, 105.
  2. T. v, 5, 66.