port au cerveau, se répandant en exclamations et en apostrophes sans raison, commençant une ode sans savoir comment il la terminerait, rencontrant le sublime, par hasard, inégal, emporté. Cette image de Pindare est fausse et misérable. Le Thébain est le plus grave et le plus tranquille des hommes ; il se modère, il se possède ; il ne crie pas hors de saison : s’il s’interroge et s’il s’encourage lui-même, c’est qu’il le veut : quand il ordonne à son génie comme à un conducteur de char de préparer les mules vigoureuses et de les mettre au timon, il est calme. L’apostrophe n’est pas le signe du désordre.
Il ne faut pas oublier que la poésie lyrique touchait à sa perfection avec Pindare, pendant que la tragédie naissait à la sienne avec Eschyle. Alcée avait brillé depuis un siècle ; Stesichore avait chanté cinquante ans avant le rival de Corinne : par une loi qui sera facilement comprise, l’ode arrivait à son apogée pendant l’aurore de la liberté démocratique et philosophique. Aussi que d’art, que d’habileté dans notre poète : dans ses chants tout est prévu, tout est calculé. Il construit ses hymnes avec une industrie patiente qui ne connaît ni la fatigue ni l’erreur. La méthode est aussi constante que l’inspiration : et l’étude a cultivé l’enthousiasme. Heureux poète ! Parmi les choses humaines, il a compris les plus profondes et chanté les plus belles. Il a été initié à l’harmonie des muses par la sagesse antique, par une éducation profonde et sacrée : il a été tout ensemble le favori des rois de Sicile et des nations de la Grèce. Il eut dans la mémoire la grandeur du passé, et sous les yeux les miracles de la liberté nouvelle ; il savait les anciens héros, il en voyait de modernes. Cet homme n’a vécu qu’au milieu de l’éclat et du bonheur, toujours écouté, presque toujours triomphant, confondant sa renommée avec les plaisirs et l’orgueil d’un grand peuple, glorifiant les hommes, glorifié par eux.
La poésie lyrique est la forme la plus haute de l’inspiration. Il semble que, dans la course et la sphère de l’ode, l’esprit de l’homme entretient un commerce plus libre avec l’intelligence souveraine des choses. Entre lui et l’idée divine pas d’intermédiaire, pas d’obstacle. Le poète reçoit avec une volupté douloureuse le dard des rayons célestes, puis il se lève pour chanter et faire sentir aux autres hommes l’immortel aiguillon.