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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/752

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laisse aborder par elle. Ce public qu’on dupe entre en défiance ; il sera sur ses gardes. Ses frayeurs deviendront excessives. Vous verrez que ce seront les romanciers eux-mêmes qu’il fuira bientôt, de peur qu’ils ne soient des poètes déguisés.

En notre qualité de critiques, nous avons dû nécessairement accueillir les requêtes de toutes ces œuvres de poètes habillées de toute sorte. Si nous avons différé beaucoup de les juger, ce n’était pas mauvais vouloir. Mais chaque fois qu’il nous arrivait d’ouvrir un de ces volumes entassés devant nous, la fatalité nous faisait tomber sur quelque malencontreuse page qui nous rangeait tout-à-fait de l’avis du siècle ; il nous en coûtait d’avoir à rendre une sentence amère peut-être. Pourtant il en faut finir. Si nous tardions davantage, les poètes en cause seraient gens à se plaindre d’un déni de justice.

Nous aurions voulu mettre les poésies de M. Reboul à part de la foule, mais elles ne nous ont pas paru justifier le mérite supérieur que leur accordent d’illustres prôneurs. D’un côté, M. de Lamartine, dans une lettre qu’il adresse à M. Gosselin, leur éditeur, en les lui recommandant, voit en elles un phénomène social et littéraire ; de l’autre, M. Alexandre Dumas, dans une préface qui vient à la suite, et où il raconte sa visite au boulanger de Nîmes, ne leur attribue pas une moindre importance. Nous ne nions pas que ces poésies n’attestent un certain talent que rehaussent, chez l’auteur, l’absence de l’éducation première et l’humble profession qu’il exerce ; mais ce talent ne va pas jusqu’à faire d’elles un phénomène. À notre avis, les éloges excessifs prodigués par MM. Alexandre Dumas et Lamartine sont un fâcheux service rendu à M. Reboul, qui n’obtiendra pas cette gloire si légèrement promise, et un tort vis-à-vis du public, envers lequel toute notabilité est responsable de ce qu’elle garantit.

D’après la notice de M. Alexandre Dumas et les confidences qu’elle contient, ce serait le malheur qui aurait inspiré la poésie de M. Reboul. Il se serait trouvé poète tout d’un coup sur une tombe où il pleurait. Dieu nous garde de contester les douleurs de l’homme ! Mais le poète ne les a point trahies. Vainement demandons-nous à son œuvre des vers écrits sous l’action d’une vive souffrance morale qui leur ait imprimé son mouvement, sa passion, qui les ait mouillés de ses larmes ; rien de pareil ; le dirons-nous ? rien de senti. Çà et là, ce sont bien quelques plaintives élégies ; pas une ne sanglotte et ne nous fait sanglotter. L’Ange et l’Enfant, la pièce la plus célébrée du recueil, est une ballade pâle et débile. Les trois strophes glacées du morceau qui a pour titre : Elle est malade, n’ont certainement pas été improvisées au chevet d’une mourante. Quelle autre tristesse aura donc été la muse de M. Reboul ? Il regrette Henri V banni et la foi éteinte ; il déplore l’esprit d’incrédulité du siècle