dée, le bon sens s’arrête et se tait. Le mauvais emploi de riches facultés offre une leçon grave. Elle mérite attention. J’ai relevé ces cadavres, et consulté les annales des vaincus ; je rechercherai les motifs de leur défaite, le pourquoi de leur obscurité, quelquefois le mode de leur suicide. J’essaierai l’autopsie ; je dirai comment cette vigueur s’est consumée, comment a péri cette génération ardente ; j’examinerai ce qu’elle garde encore, sous la tombe, d’étincelles et de lueurs ; ce que Dieu avait fait pour elle, et combien de génie ou d’esprit elle a jeté au caprice du vent ; prodigue génération, génération de prodigues.
Sans l’étude curieuse des groupes littéraires qui ont précédé l’époque de Louis XIV, l’histoire de cette dernière resterait incomplète et insuffisante. Évoquons donc ces groupes, vieux ennemis, curieux à ressusciter. Suivons leur procession folle : bergers, Amadis, amazones, poètes crottés, petits pages, vieilles femmes philosophes, matelots poètes, beaux-esprits de ruelles, athées, fous de cour, grimauds en guenilles, spadassins espagnols, buveurs et goinfres intrépides ; tout cela était littérateur comme vous et moi, n’écrivait pas de journaux, faisait des triolets, amusait les dames et avait du génie ; écrivains sans jugement, qui préparaient le triomphe des intelligences sérieuses. La vieille mobilité gauloise éclata dans toute sa violence de réaction ; les sages furent excessivement sages, afin de compenser la furieuse extravagance qu’ils détrônaient. L’histoire des sages et des vainqueurs est écrite partout, et très bien écrite ; l’histoire des fous et des vaincus ne l’est pas : je la tente. Je redirai cette vive émeute de l’esprit français, entre l’époque de Henri IV et celle de Louis XIV ; intervalle remarquable par sa verve diffuse, sa fantaisie originale, son attitude puérile et dégingandée, son talent et son néant. Qu’il me soit permis de repousser d’avance toute imputation de critique allusive, adressée au temps actuel. J’aime à raconter cette ancienne lutte littéraire, mais je n’ai point de penchant à rabaisser les talens contemporains. Mon but unique est de poser des principes raisonnables et de faire valoir des considérations élevées ; il résultera de ce travail une vérité éternelle dans l’art : la nécessité de l’harmonie, et l’avortement qui suit l’effort isolé d’une seule faculté mise en jeu. On verra aussi que Boileau eut raison contre le passé littéraire, comme Louis XIV eut raison contre la fronde et la ligue. Louis XIV et Boileau eurent trop raison.
Le bataillon sacré des poètes capricieux va se mettre en marche, guidé par quelques grands seigneurs, escorté d’une ou deux aventu-