nos campagnes, vient de se passer à Tiffauges. Un vieillard de la commune étant mort dans le plus affreux dénuement, et n’ayant pas laissé de quoi subvenir aux frais de sépulture, le vicaire de la paroisse s’est obstinément refusé à lui ouvrir les portes de l’église et à le conduire à sa demeure dernière. Vainement les enfans, les petits-enfans et les arrière-petits-enfans du défunt, vainement ses frères, ses sœurs, ses neveux et ses petits-neveux se sont précipités aux genoux du ministre des autels ; vainement ils ont arrosé ses mains de larmes brûlantes. Le serviteur d’un dieu de charité s’est montré inflexible et a fait jeter par sa servante tous ces malheureux à la porte. Jamais le village de Tiffauges n’avait assisté à un plus lamentable spectacle. On dit, et nous sommes portés à le croire, que ce refus de sépulture n’a pas eu seulement pour cause une sordide avarice. On assure que le fanatisme religieux et l’intolérance politique y ont eu la plus grande part. Cet infortuné vieillard avait servi avec distinction dans les armées de la république, et, de retour dans ses foyers, il s’était fait remarquer autant par l’élévation de son caractère que par l’indépendance de ses idées libérales. Le village l’a suivi jusqu’au cimetière et a pleuré sur sa tombe. Tous les hommes de bien de Tiffauges étaient là ; il n’y avait qu’un vicaire de moins. »
— Eh bien ! que dites-vous de cela ? s’écria M. Riquemont.
— Je dis, monsieur, répondit le docteur, que c’est un vicaire de moins dans les cartons de votre journal.
— Allons donc ! allons donc ! répliqua le campagnard en haussant les épaules. Les noms y sont, docteur. On nous écrit de Nantes… à Tiffauges… c’est clair comme le jour et précis comme un acte authentique.
— J’ajouterai, monsieur, reprit humblement le docteur, qu’en admettant que les faits se soient passés de la sorte, il n’en est pas moins déplorable de les voir ainsi livrés à une publicité malveillante. Il est tant d’esprits disposés à frapper de la même réprobation l’abus qu’on fait de la religion et la religion elle-même ! Il faut craindre de les encourager.
— Nous y voilà ! Vous voteriez contre la liberté de la presse ! Vous voulez mettre la lumière sous le boisseau et la vérité dans le sac ! Le soleil vous effraie ; il vous faut l’ombre et le silence.
— Eh non ! monsieur, eh non ! répondit doucement le docteur ; mais il en est de certaines vérités comme de l’arsenic et de l’acétate de morphine : je pense qu’il serait imprudent d’en délivrer à tout le monde.