qu’on n’en rencontre que dans les cloîtres. Quelques vénérables sœurs réunies sur le même banc déploraient la disparition subite d’un gros chat noir, commensal de la maison, que depuis trois jours on n’avait pas vu au réfectoire. Elles le traitaient d’enfant prodigue, et s’indignaient gravement de son inconduite. En arrière de ces discrètes personnes, deux jeunes religieuses s’entretenaient à demi-voix. Les pauvres filles ajoutaient peut-être au plaisir de la récréation celui de converser sur les choses défendues. Plus loin les novices découpaient leurs agnus et faisaient à Anastasie quelqu’une de ces histoires qui se transmettent par tradition dans les couvens. L’une d’entre elles, une jeune fille blonde et pâle, s’était assise à l’écart près de la fenêtre. Elle lisait avec distraction un gros volume ouvert sur ses genoux, et suivait d’un mélancolique regard les passereaux qui, après avoir un moment sautillé dans le jardin, s’envolaient à lire d’aile par-dessus les murailles.
À midi trois quarts, la cloche sonna ; son aigre carillon appelait les religieuses dans la salle de travail.
— Que savez-vous faire, mon enfant ? demanda la supérieure à Anastasie, tandis que la maîtresse des novices distribuait la tâche de l’après-midi.
— Pas grand’chose, ma mère, répondit la jeune fille ; j’ai appris seulement à refaire les choses usées, à réparer adroitement les habits dont l’étoffe est mûre.
— Moi aussi, je l’avais appris autrefois, dit la mère Angélique en soupirant ; les demoiselles de Colobrières n’ont jamais eu de robe neuve, et Mme la baronne, notre bonne mère, est vêtue comme la bienheureuse Madeleine de Saint-Joseph, laquelle porta pendant trente-cinq ans la même jupe.
— Bonté divine ! elle avait donc fait profession dans une maison où il n’y avait pas plus d’argent que chez nous ? observa ingénument Anastasie.
— Elle était supérieure du couvent des augustines de Madrid, répondit la mère Angélique ; c’est une maison de fondation royale qui a cent mille livres de revenus, et où les reines d’Espagne vont souvent entendre les vêpres et faire collation.
Les religieuses se mirent au travail en observant le silence. Anastasie s’assit devant un métier à broder et commença à tracer de légères guirlandes sur une cravate de mousseline des Indes. Cette occupation laissait toute liberté à son esprit, qui errait à travers mille pensées inquiètes et revenait obstinément vers des souvenirs chers