Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Oui, dit-il, les doux souvenirs de la patrie se fortifient loin du foyer paternel ; nous nous imaginons que tout en elle doit être immuable, et nous souhaitons avec anxiété de la revoir, pensant que rien n’aura changé durant notre éloignement.

« Voici cependant l’heure du retour. Ce que nous avons quitté en partant n’existe plus ; de tous les côtés nous ne rencontrons que des choses nouvelles et différentes ; nous voyons avec effroi se dissiper les illusions de nos souvenirs, et nous sommes comme des étrangers dans notre propre patrie : malheur le plus grand qui puisse tomber sur nous ! »


L’instant où Mudarra quitte l’Andalousie pour la Castille amène naturellement un tableau des deux pays, qui est un des beaux fragmens de la poésie descriptive espagnole.


« Une autre scène s’offre à mes yeux, dit le poète ; ce ne sont plus les campagnes fleuries où s’étendent les ondes majestueuses du Guadalquivir ; ce n’est plus la sierra féconde, élevant jusqu’au ciel sa cime toujours pure de neige et couronnée de mousse, de fleurs odorantes et d’oliviers, tandis que les vergers et les jardins tapissent ses flancs, embaumant l’air des douces senteurs de la rose et du jasmin. Point d’illustre cité dont le nom, la puissance et la gloire soient agrandis par la renommée, racontés par l’histoire et attestés par les monumens… - Voilà la Castille ! un ciel obscurci par des nuées épaisses et des vapeurs grisâtres ; un sol dépouillé où l’hiver cruel exerce ses rigueurs ; un horizon d’affreuses montagnes dont les pics se hérissent, où s’élèvent seulement des pins au feuillage sombre, et qui sont couvertes de neiges. Voici l’Arlanza ! si, dans l’été, il se couronne d’épis avec orgueil, maintenant ses eaux troublées et paresseuses s’encombrent de glaçons. Voici la cité belliqueuse où est le siège des comtes castillans. Ah ! ce n’est pas la ville du puissant Hixcem. Comme Cordoue, la naissante Burgos n’élève pas dans un ciel de saphir ses minarets et ses dômes de marbre et d’or. Elle a de fortes murailles et des tours de pierre inaccessibles au soleil, qui défient les tourmentes, les orages et les fureurs de la guerre. Ses palais n’abondent point en richesses ; ils ne sont pas tendus en toiles exquises de l’Orient ; ils n’abritent pas les sciences et les arts. Là on n’entend pas, au lever de la claire aurore, la voix du muezzin annonçant aux hommes le nouveau jour et les invitant à porter leurs prières au temple. De vastes cloches d’airain ébranlent l’air et jettent leurs sons mélancoliques pour rappeler l’heure des pratiques divines. La voix des écoliers n’éclate pas dans les rues ; dans les places, on n’aperçoit pas la gaieté, le mouvement et la profusion des métiers. Dans Burgos, le marteau retentit, battant le fer, pliant l’acier déjà éprouvé par le feu en armures de toute sorte. On n’entend que le chant monotone des églises, des chapelles, des couvens, et la confuse rumeur d’un peuple pauvre et taciturne. »

« Et les campagnes, combien elles sont différentes ! Là, les laboureurs en