conséquences, il avait pris soin d’en déterminer et d’en borner l’usage dans la pratique. C’était, disait-il, une curiosité de quelques esprits délicats qu’il fallait satisfaire en l’éclairant ; c’était, selon ses amis, de la piété distinguée. Quoi ! un esprit si pénétrant ne pas sentir qu’en religion, ainsi qu’en toutes choses, ce qui en est comme la partie défendue est ce qu’on en aime le plus, et qu’à la longue, où il y aura une religion pour les délicats, il y aura autant de religions que de degrés dans cette délicatesse ! Abandonner la religion à la liberté du sens propre, c’est semer les sectes à l’infini, témoin les pays de protestantisme où le droit d’examen n’est pas réglé par une église établie, témoin ces innombrables églises dans l’église américaine. Dans une société polie, qui donc ne voudra pas appartenir à la religion de curiosité ? Qui ne préférera une piété distinguée à la piété de tous ? Qui ne trouvera le compte de son amour-propre à sortir de la foule des simples et des ignorans pour se ranger parmi les délicats et les raffinés ?
Nous le voyons pour les opinions profanes : adhérer à la doctrine commune, quand on n’y est pas invité par un intérêt, n’est pas le premier mouvement. Différer au contraire et se départir flatte l’indépendance, et cet indomptable sens propre qu’il est si dangereux, et tout au moins si superflu d’encourager. Établissez en principe, écrivez dans vos livres que l’adhésion est un effet grossier de l’esprit d’imitation, et que différer est la marque d’un esprit indépendant et rare : vous autorisez, vous constituez en quelque sorte la dissolution et la dispersion. Les hommes de génie, qui sont les sages de ce monde, devraient-ils l’être moins que les sociétés elles-mêmes, lesquelles, par un admirable instinct, se défendent sans cesse contre le sens propre, et, pour un article de leurs lois qui le reconnaît ou le tolère, en font mille qui le suspectent, le contrarient ou l’oppriment ?
Combien ce principe n’est-il pas plus vrai encore de la religion que de la société ? Qui fait la force des religions, si ce n’est la tradition et’ l’unité ? Qui fait leur caractère divin, si ce n’est qu’elles ne sont pas débattues comme les opinions humaines, et à la merci des commodités de chacun ? Qui est plus propre à faire naître la foi ou à l’entretenir que l’unité et la tradition ? Les grands hommes du protestantisme l’eurent bientôt compris, car, dans le temps même qu’ils se séparaient de l’unité catholique, ils essayaient d’en former une à leur façon, et, tout en rejetant la tradition de l’église établie, ils allaient chercher dans les ténèbres des origines la tradition plus lointaine encore d’une église primitive.