avec l’appui de la puissance publique. J’aimerais autant un moraliste qui se rangerait du côté de la complaisance mondaine contre le devoir.
Que dire de cette chimère de mots nouveaux introduits par l’Académie française et essayés d’abord dans les conversations ? Comment Fénelon, qui écrit de génie, a-t-il parlé d’abandonner, même à un corps si considérable, ce qui est le plus beau privilège du génie, la vraie liberté en fait de langage ? car n’est-ce pas au génie seulement qu’il appartient, non de créer par voie d’essai et de tâtonnement, mais de tirer du sein même de la langue un mot, un tour, qui exprimeront une idée immédiatement vraie pour tous les esprits cultivés ? Si les académies pouvaient avoir un emploi quelconque en cette matière, ne serait-ce pas plutôt celui de vérifier si l’écrivain aurait frappé juste, si l’idée serait dans l’esprit humain et le mot dans le génie de la langue, et d’en consigner les raisons dans leurs vocabulaires ?
Fénelon n’estimait pas que ce fût assez d’introduire des mots nouveaux, il en voulait de composés, comme dans la langue grecque, où du moins une admirable syntaxe règle toutes ces combinaisons, et comme dans la langue allemande, qui les permet au premier venu et qui souffre tout de tout le monde. Enfin, pour qu’il n’y eût pas une seule des causes de la ruine des langues qui ne pût s’autoriser de ce grand nom, il recommandait, à titre de nouveauté gracieuse, de joindre les termes qu’on n’a pas coutume de mettre ensemble. Or, par quoi périssent les langues, sinon par l’abus des mots nouveaux et les rapprochemens, parmi les mots en usage, de ceux qui n’ont pas coutume d’aller ensemble ? C’est à cette double marque que l’on reconnaît les écrivains des époques de décadence. Heureusement les écrits de Fénelon donnent un démenti à sa doctrine, car, en même temps qu’il s’interdit tout ce qu’il conseille, aucun écrivain n’a mieux prouvé que, pour l’abondance des mots et la liberté du tour, nous n’avons rien à envier à personne.
Voici d’autres énormités. Il se plaint de notre versification[1], qui perd plus, dit-il, qu’elle ne gagne par les rimes. Il en donne pour raison les sacrifices de pensée qu’on fait à la richesse de la rime, quoique le contraire éclate à toutes les pages de tous les grands poètes contemporains. Dans une lettre à Lamothe-Houdard, qu’il met fort à l’aise par ces nouveautés, il fait un procès à la rime. « Elle gêne plus qu’elle n’orne le vers ; elle le charge d’épithètes ; elle rend souvent la diction forcée et pleine de vaine parure. En allongeant les discours,
- ↑ Lettre sur les occupations de l’Académie française.