Ainsi faite, Mazarin n’était pas l’homme qui la pouvait séduire. Jusqu’à un certain point, elle pouvait admirer Richelieu en le détestant, car sa tyrannie n’était assurément pas sans grandeur, même aux yeux les moins exercés, tandis que Mazarin n’avait aucune des qualités auxquelles Mme de Hautefort était sensible. Incapable d’apprécier son génie politique, sa profonde connaissance de toutes les cours de l’Europe et des intérêts des différens états, sa merveilleuse intelligence dans les petites comme dans les grandes choses, sa vigilance et son application infatigable, et ce qu’il y avait d’original dans la situation de cet étranger, arrivé au pouvoir par la faveur de l’implacable persécuteur de la reine, s’y maintenant par la faveur inattendue de cette même reine et luttant presque seul contre une coalition formidable, Mme de Hautefort ne voyait guère dans Mazarin que ses défauts, comme firent plus tard Mme de Longueville, Retz et Condé lui-même. Cette qualité d’étranger, qui sonnait mal à des oreilles françaises, l’appui même de la reine, qui rappelait le maréchal d’Ancre, ce jargon italien, cette politesse exagérée et sans dignité, le perpétuel mensonge de ses promesses, les artifices auxquels il était bien forcé d’avoir recours, le trafic de tous les emplois même les plus saints, ses manœuvres souterraines, sa police partout présente, les sacrifices même qu’il savait faire aux circonstances, et qui semblaient trahir une âme médiocre, avant qu’on l’eût vu inébranlable dans le danger et tout aussi ferme à soutenir les tempêtes qu’habile à les conjurer, tout cela repoussait au lieu d’attirer Mme de Hautefort, et Mazarin n’était pour elle qu’un continuateur adroit de Richelieu. Le premier cardinal avait gouverné par la terreur, le second entreprenait de gouverner par la corruption. Ce n’était point là le héros que sa noble imagination avait rêvé et qu’elle eût pu pardonner à la reine.
Par toutes ces raisons, Mme de Hautefort se déclara d’assez bonne heure contre Mazarin, et elle employa contre lui tout ce qu’elle avait retenu d’ascendant sur Anne d’Autriche, les droits d’un dévouement éprouvé, le crédit que lui donnait sa charge, l’autorité de sa vertu, les ressources de son esprit, le prestige de sa beauté, la fermeté et la hardiesse de son caractère.
Rappelée à la cour le 17 mai 1643, Mme de Hautefort y trouva d’abord les proscrits de la veille devenus les favoris du jour. Anne d’Autriche n’était pas encore changée, elle appartenait encore à son ancien parti : elle lui avait ouvert le conseil, livré la cour, le parlement, l’église ; elle lui prodiguait tous les emplois, toutes les promesses ; elle avait seulement gardé Mazarin à cause de sa capacité incontestée, et, pour ainsi dire, en attendant que l’évêque de Beauvais eût appris l’art de gouverner ; elle ne se doutait pas qu’un seul