la nature humaine, c’est que le fanatisme le plus violent peut très bien s’allier à la plus complète mauvaise foi, de même qu’un certain scepticisme de caractère peut fort bien s’accorder avec une conviction profonde. Jamais Joseph Smith n’a été de bonne foi, pas plus à la fin qu’au commencement de sa carrière, pas plus à l’époque où il fut devenu fanatique qu’à l’époque où il n’était qu’un simple vagabond. Smith a trouvé des défenseurs indulgens en dehors de son église, et cependant il ne s’en trouverait pas un qui voulût se porter garant de sa bonne foi. Quel est au contraire celui de ces mêmes critiques indulgens qui oserait attaquer la sincérité d’Emmanuel Swedenborg ? Il a eu trop de visions, j’en conviens, les anges lui ont parlé trop souvent, et surtout lui ont trop parlé en style biblique, comme s’ils n’avaient pour s’exprimer que les éternelles métaphores avec lesquelles ils se sont jadis fait comprendre aux pasteurs de Judée et aux prophètes. C’est une question à débattre, je l’accorde, que celle de savoir si Swedenborg fut plutôt un illuminé qu’un inspiré, un visionnaire dominé et comme conquis par la double puissance de connaissances scientifiques très étendues et de sentimens religieux très nombreux et très profonds. Oui, Swedenborg, je l’accorde encore, manque d’une certaine naïveté et d’une certaine simplicité de pensée qui est naturelle à tous les inspirés et à tous les prophètes. Il ne voit pas assez une seule chose et il en voit trop, il n’a pas un seul message à annoncer aux hommes, il en a mille, et cette grande variété d’idées nuit à l’ensemble général de son œuvre. On en vient à douter, après l’avoir lu, que cet homme ait jamais eu en réalité une mission à accomplir ; mais ce dont on ne peut douter, c’est sa sincérité. Et quelle grandeur intellectuelle, quelle profondeur métaphysique, quelle connaissance du surnaturel, quelle poésie mystique, quelles nobles passions sont renfermées dans ses formules algébriques, dans ses métaphores bibliques ! Ce n’est plus là un vulgaire fatras de fables sans beauté ni grâce, mal cousues les unes aux autres, et de dogmes hurlant de se trouver ensemble. Quant au quakerisme, pas plus que le swedenborgisme, il n’est fait pour justifier Joseph Smith et sa secte. Tant de bonne foi, tant de charité réellement chrétienne n’ont rien à démêler avec la duplicité bien connue et l’humeur querelleuse et intolérante (les Anglais disent mieux, pugnacious) des mormons. La bonne foi de George Fox ne peut être mise en doute, et il y a dans l’histoire peu de spectacles plus touchans que celui de ce pauvre homme venant déclarer à ses frères que l’homme ne doit pas mentir, qu’une conscience vraie est le temple de l’esprit saint, qu’il ne faut point dire raca à son semblable et qu’au lieu de s’entr’égorger comme des bêtes fauves, les chrétiens feraient beaucoup mieux de s’entr’aider, et d’appeler par la prière la bénédiction
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