Denis Diderot
« Il n'y a qu’un seul devoir, c’est de se rendre heureux. » De tous les penseurs des Lumières, Denis Diderot est peut-être le plus libre et décapant. Philosophe matérialiste, athée, il était surnommé « le pantophile » (« l’amoureux de tout ») par Voltaire, tant sa soif de connaissance impressionnait. Ce fils d’un coutelier né à Langres, éduqué chez les jésuites, évitera soigneusement de construire un système philosophique cohérent : « On doit exiger de moi que je cherche la vérité, mais non que je la trouve », prévient-il. Diderot cultive la fantaisie, sur le fond comme sur la forme, dans une forme d’érudition joyeuse où il n’est jamais bon de se prendre trop au sérieux.
Ses premiers écrits, jugés trop sulfureux, lui valent d’être emprisonné trois mois à Vincennes. Dans la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749), Diderot récuse en effet toute théologie à travers la figure d’un mathématicien incapable de contempler la Création : « Si vous voulez que je croie en Dieu, il faut que vous me le fassiez toucher », dit-il. Le roman libertin Les Bijoux indiscrets (1748), où Diderot s’amuse à faire parler le sexe d’un sultan évoquant Louis XV, n’arrange pas ses affaires. Libéré sous conditions, pas assez riche pour pouvoir s’exiler, Diderot devra lutter toute sa vie contre la censure.
La colossale Encyclopédie qu’il édifie avec le physicien d’Alembert y échappe miraculeusement. Pendant vingt ans, Diderot commande des milliers d’articles recensant les savoirs disponibles au XVIIIe siècle. Le genre humain doit selon eux pouvoir accéder à une telle somme (28 volumes, dont 11 de planches), non seulement pour le plaisir d’apprendre mais aussi pour s’armer intellectuellement contre les autorités. Diderot rédige à lui seul 3 500 articles, dont celui consacré à la philosophie, qu’il décrit comme « la science des possibles dont le but est de rendre raison de tout ce qui est et de tout ce qui peut être dans toutes les choses qui arrivent ».
Cette définition fait écho à sa conception de la nature, exposée dans Le Rêve de d’Alembert (1769, paru en 1830). Selon lui, le monde est composé de molécules dont les assemblages peuvent varier à l’infini. La matière est un chaos qui « se débrouille », et dont la sensibilité et le mouvement sont des propriétés intrinsèques. Dans une lettre à sa maîtresse Sophie Volland, Diderot se plaît même à imaginer que les corps continuent de vivre étrangement après la mort : « Peut-être les cendres des défunts n’ont-elles pas perdu tout sentiment, toute mémoire de leur premier état. » L’âme n’étant pas séparée du corps, elle ne peut être immortelle ; en revanche, il est possible d’en penser la postérité. Grâce à la matière, le bonheur éternel existe peut-être bien !
Dans un autre dialogue fameux, Le Neveu de Rameau, Diderot passe en revue d’autres thèmes : la morale, l’éducation... Un philosophe, faux double de Diderot, tente de convaincre son excentrique interlocuteur du bien-fondé des principes rationnels. Échec ! Dans cette œuvre singulière, Diderot tourne en dérision la dialectique platonicienne tout en moquant ses propres positions. Il fera de même dans son célèbre roman Jacques le fataliste et son maître (publié en 1796), où il met en question le déterminisme auquel il croit pourtant : le héros n’a de cesse de répéter que « Tout est écrit là-haut » alors même que les péripéties les plus improbables jonchent son parcours.
Critique d’art prolifique, Diderot s’est également érigé contre le colonialisme (Supplément au voyage de Bougainville, 1772) et la répression des mœurs sexuelles : « Tout ce qui est ne peut être ni contre nature ni hors de nature ». Écrivain facétieux, philosophe indiscipliné, Diderot est avant tout un amoureux des raisonnements libres, comme en témoigne cette malicieuse déclaration du Neveu de Rameau : « Mes pensées, ce sont mes catins. »
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